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DÉPRESSION CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE

La dépression n’est pas une caractéristique de l’âge avancé. Parler moins, mal dormir, manquer d’appétit, d’énergie… tous ces symptômes sont encore trop souvent considérés comme normaux chez une personne âgée, alors qu’ils peuvent être révélateurs d’une dépression. Pour le praticien qui reçoit un patient âgé en consultation, penser à la dépression doit devenir un réflexe.

DR MUSTAPHA OUDRHIRI

Spécialiste en médecine interne et en gériatrie – Casablanca

Doctinews N° 38 Novembre 2011

La dépression est une pathologie beaucoup plus répandue qu’on ne le pense chez les personnes âgées. Des statistiques françaises révèlent qu’elle affecte 5 % des enfants prépubères, 10 à 15 % des adolescents, 20 % des adultes et 25 % des personnes âgées de plus de 65 ans, et jusqu’à 40 % en institution. Mais elle passe encore trop souvent inaperçue car les symptômes manifestés par les patients, tels qu’un ralentissement des fonctions intellectuelles ou des plaintes corporelles sont souvent associés à un vieillissement normal. Ainsi, seulement moins de 10 % des personnes âgées de 65 ans et plus atteintes de dépression seraient diagnostiquées. Ces personnes, souvent isolées, ne demandent que rarement de l’aide, et les médecins qui les suivent focalisent généralement leur attention sur leurs problèmes physiques.

La liste des médicaments prescrite au patient est à considérer de près car il existe des médicaments potentiellement dépressogènes.

Des symptômes sous-estimés

De nombreux événements, comme la perte d’un conjoint ou d’un proche, des problèmes de santé, un changement d’environnement… peuvent générer un état de déprime, à ne pas confondre avec la dépression qui peut s’installer en réaction à un événement douloureux ou se déclarer sans raison apparente. En revanche, la perte de toute forme d’espoir, l’absence de tout sentiment heureux sont des caractéristiques de la dépression. Chez la personne âgée, les symptômes de la dépression s’expriment souvent par un manque de motivation, une perte d’énergie et d’intérêt pour les activités de loisir, un isolement et un rejet des autres ainsi qu’une perte d’estime de soi. La fatigue, la perte de poids et d’appétit, les troubles du sommeil (dormir trop ou pas assez) sont également fréquents et s’accompagnent de plaintes physiques accrues ou inexpliquées (céphalées, palpitations, vertiges, dyspnées, algies). D’autres signes comme l’agressivité, l’hostilité, l’irritabilité et l’anxiété peuvent être évocateurs de dépression.

Les champs de l’interrogatoire

Face à une personne âgée qui présente un ou plusieurs symptômes décrits ci-dessus, il convient de procéder à un interrogatoire minutieux. Depuis quand le ou les troubles sont-ils apparus ? Sont-ils d’apparition soudaine ou progressive ? Un événement particulier a-t-il eu lieu au cours de cette période (perte d’un proche, changement d’environnement…) . Il est également intéressant de passer en revue les antécédents psychiatriques du patient, sachant qu’une dépression peut survenir à tout âge. La liste des médicaments prescrite au patient est à considérer de près avec toutes les modifications de traitement qui pourraient avoir eu lieu au moment de l’apparition des troubles. Il existe en effet des médicaments potentiellement dépressogènes dont le bénéficie pourra être discuté en concertation avec le prescripteur. Il ne faut pas négliger non plus les dépressions qui peuvent révéler de la violence physique ou affective, de l’exploitation financière, de la négligence que le patient aura tendance à nier.
L’examen clinique classique du patient sera notamment complété par une évaluation de l’autonomie physique et la recherche d’un handicap sensoriel éventuel.

Des formes secondaires

Dans certains cas, la dépression peut être secondaire à une autre pathologie. Certaines maladies virales ou inflammatoires, des troubles endocriniens, des néoplasies, des maladies neurologiques peuvent déclencher une dépression.
Il est admis dans la littérature que la dépression peut faire suite à un AVC (accident vasculaire cérébral), notamment lorsque les lésions se situent sur l’hémisphère gauche, à proximité du lobe frontal ou lorsqu’elles atteignent la substance blanche des hémisphères cérébraux ou des noyaux de la base. On considère également que dans 15 à 25 % des cas, la dépression précède ou est concomitante avec les premiers symptômes de la maladie de Parkinson, et que 50 % des patients qui en sont atteints font une dépression. Il en est de même pour la maladie d’Alzheimer qui est associée à une dépression dans 17 à 31 % des cas.

Prise en charge de la dépression

Le traitement médicamenteux comportera classiquement un antidépresseur. En première intention, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) sont fréquemment utilisés. D’autres antidépresseurs peuvent être choisis en fonction de l’histoire clinique du patient et du profil des effets secondaires du traitement. Ils devront être utilisés à dose efficace, parfois atteinte par paliers pour s’assurer de la bonne tolérance du traitement. Les effets secondaires les plus fréquents des IRS sont les troubles digestifs, ainsi qu’un risque de survenue d’hyponatrémie par SIADH. Les traitements antidépresseurs sont aussi efficaces chez le sujet jeune que chez le sujet âgé. La durée du traitement antidépresseur sera de six mois s’il s’agit du premier épisode dépressif et d’un an minimum dans les cas de récidive. L’association avec un anxiolytique ou un hypnotique ne doit pas être systématique du fait d’un risque iatrogène élevé chez les personnes âgées.
Un suivi psychologique doit être proposé qui complétera efficacement le traitement médicamenteux. Il s’agira le plus souvent d’une psychothérapie de soutien qui aidera le patient à mieux comprendre sa maladie. Des interventions sur les aidants peuvent parfois être nécessaires. Une réévaluation des aides à domicile sera effectuée pour maintenir au mieux le niveau nutritionnel et l’autonomie du patient.
L’hospitalisation s’imposera en cas de risque suicidaire élevé. Elle sera également proposée lorsqu’une perte d’autonomie physique importante sera objectivée ou lorsqu’un trop grand isolement social sera noté.
La dépression est une pathologie fréquente et sous-diagnostiquée chez la personne âgée. Vu son impact sur l’autonomie, la qualité de vie et l’espérance de vie, il convient de la prendre en charge précocement et de façon active, même à un âge avancé.


 

Facteurs de risque de dépression chez la personne âgéen Solitude ;

–  Isolement social et affectif ;
– Veuvage ;
– Deuil ;
– Sexe féminin ;
– Perte d’autonomie ;
– Comorbidité physique : cancer (50 %), Parkinson (20 à 30 %), diabète (30 %), AVC (30 à 50 %), IDM (16 à 18 %), HTA (10 %), démence (30 à 45 %),
– Prise médicamenteuse (B bloquants, antihypertenseurs centraux, neuroleptiques,  BZD, L-DOPA, stéroïdes…).

Geriatric Depression Scale

Un outil pratique pour le médecin

Pour orienter le praticien dans son diagnostic, il existe un outil baptisé GDS (Geriatric Depression Scale), une échelle de dépression présentée sous forme de questionnaire. Trente items sont proposés et, en fonction des réponses (questions fermées), et du score qui se dégage, la probabilité ou non d’une dépression peut être évoquée.

 

L’ESCARRE CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE : LA NÉCESSITÉ D’UNE PRISE EN CHARGE PLURIDISCIPLINAIRE

Doctinews N° 31 Mars 2011

Une escarre est souvent une complication concomitante à un état général très altéré. Ses zones de prédilection sont bien connues et Sa gravité est fonction du moment de sa prise en charge et de l’existence ou non de mesures de prévention adoptées en amont. La prise en charge de l’escarre chez le sujet âgé ne doit pas être focalisée seulement sur l’état de la plaie, mais également sur l’état général du patient à travers une évaluation gériatrique standardisée faisant appel à une équipe multidisciplinaire.

Mustapha-Oudrhiri Dr Oudrhiri

Une escarre est une zone localisée de souffrance de la peau et des tissus sous-jacents, causée par la pression, le cisaillement et les frottements ou une combinaison de ces différents facteurs. C’est une complication évitable de l’hospitalisation, de l’alitement prolongé ou de l’immobilité. Possible en tout point du corps, elle est principalement observée au niveau des points d’appui du bassin et des talons et son apparition peut être très rapide, de quelques heures à quelques jours. Sa fréquence, mal connue aujourd’hui, varie selon les contextes cliniques : 9 à 35 % des sujets âgés hospitalisés ou institutionnalisés, selon les enquêtes. L’escarre entraîne une augmentation de la durée de séjour des patients hospitalisés, une augmentation du temps des soins infirmiers, des douleurs et d’autres complications infectieuses, fonctionnelles ou psychologiques. La prévention des escarres doit être une préoccupation permanente pour des soignants prenant en charge des personnes âgées fragiles, quel que soit le contexte de soins, domicile, hôpital ou institution. Enfin, une fois constituée chez la personne âgée, l’escarre nécessitera l’intervention d’une équipe multidisciplinaire comprenant, entre autres, un médecin, une infirmière, une aide-soignante, un kinésithérapeute, un diététicien et un psychologue. Chacun de ces intervenants aura un rôle spécifique et complémentaire pour pouvoir espérer une cicatrisation lente, mais possible, de la plaie. Pour illustrer notre propos, le cas clinique que nous rapportons est un exemple très parlant.
Cas clinique
M. A.K., âgé de 85 ans, en perte d’autonomie totale depuis un an suite à un syndrome parkinsonien très avancé jamais pris en charge, est admis à l’hôpital pour une aggravation de son état général avec déséquilibre d’un diabète de type 2 (glycémie à jeun à 2,3 g/l et HbA1c à 8,5 %), déshydratation avec insuffisance rénale d’allure fonctionnelle (urée : 0,57 g/l, créatinine : 12,9 mg/l, clearance de la créatinine à 34 ml/mn), pneumopathie vraisemblablement d’inhalation (troubles de la déglutition rapportés par l’entourage), dénutrition sévère (albuminémie : 21 g/l) et escarres multiples : sacré au stade 2 (photo 1), trochantériens au stade 4 à gauche (photo 2) et stade 2 à droite, et talon droit au stade 3 (photo 3).
Le traitement de l’escarre est à la fois local et général, prenant en compte la personne et la plaie. Le succès du traitement est conditionné par une prise en charge pluridisciplinaire, l’adhésion des soignants à un protocole de soins et la participation active du patient et de son entourage.

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Traitement général
Le traitement général passe d’abord par une prise en charge globale de l’état du patient prenant en considération certaines particularités gériatriques (risque iatrogène, degré d’autonomie, espérance de vie…). De ce fait, nous avons instauré une réhydratation douce avec surveillance de l’état hémodynamique et cardiaque et débuté une antibiothérapie visant la pneumopathie d’inhalation association ceftriaxone et metronidazole. Nous avons également arrêté certains médicaments inutiles que prenait le patient (benzodiazépines et glimériride) et surveillé étroitement les chiffres glyc

émiques avec instauration d’un protocole insuline rapide si hyperglycémie = 2 g/l (vu le contexte polypathologique, l’objectif glycémique chez ce patient peut être revu à la hausse : HbA1c : 8%). Notre intervention a consisté par ailleurs à traiter le syndrome Parkinsonien en débutant par une dose progressive de L dopa, à prévenir les complications thrombo-emboliques de l’alitement (HBPM à dose prophylactique), et à mettre en place, grâce à l’intervention de la diététicienne, un protocole nutritionnel adapté visant l’augmentation des apports caloriques et protéiques. Enfin, nous avons débuté une kinésithérapie respiratoire et fonctionnelle au lit, avec verticalisation puis mise au fauteuil.

Traitement local

Pour le nettoyage des plaies et de leurs berges (photo 4), nous avons utilisé du sérum physiologique. Il n’y a pas d’indication à l’utilisation d’antiseptiques.

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La plaie ne doit pas être asséchée (éviter d’appliquer l’éosine, l’alcool ou le talc). Pour toutes les escarres, la détersion était nécessaire (plaies nécrotiques et/ou fibrineuses). Elle s’est effectuée de manière mécanique. Des pansements alginates de calcium (Urgosorb*) ont été par ailleurs utilisés sur les nécroses humides pour favoriser l’absorption des exsudats. Une association hydrogel/plaque hydrocolloïde extra-mince (Urgo Hydrogel*/ Algoplaque film*) a permis quant à elle de ramollir les plaques de nécrose sèche pour faciliter leur élimination au bistouri (photos 5 et 6).
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Au niveau de la région sacrée et trochantérienne droite (escarre stade 2), nous avons opté de manière alternée pour un pansement gras lipido-colloïde (Urgotul*) ou des plaques hydrocolloïdes (Algoplaque*). Le pansement gras utilisé a pour grand avantage, comparativement à d’autres tulles, de ne pas sécher et donc de pouvoir être retiré de manière totalement atraumatique, même après plusieurs jours. Les plaques hydrocolloïdes ont pour intérêt d’être imperméables, et donc de protéger le lit de la plaie des selles et des urines du patient (photos 7 et 8).

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Au niveau trochantérien gauche, la plaie était cavitaire (atteinte des tissus sous-cutanés, mais sans atteinte osseuse) et large (6 cm de diamètre) avec perte importante de substance. Les pansements utilisés ont été successivement un alginate de calcium (Urgosorb*) pendant la phase initiale de détersion puis un hydrocellulaire en fin de cicatrisation (Cellosorb*) (photos 9 et 10).

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Au niveau du talon droit (escarre stade 3), la plaie était exsudative. Les pansements utilisés ont été également un alginate de calcium (Urgosorb*), voire un hydrogel (Urgo Hydrogel*) sur les résidus de nécrose sèche, puis un hydrocellulaire (Cellosorb*) lors du bourgeonnement, et enfin un pansement gras lipido-colloïde en phase d’épidermisation. Le pansement hydrocellulaire présente essentiellement des propriétés d’absorption, en plus de sa capacité de gélification au contact de la plaie du fait de son imprégnation par l’association vaseline / hydrocolloïde (photos 11 et 12).

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Le traitement de la douleur générée par l’escarre ne doit pas être négligé. La douleur peut être spontanée ou non, brutale et inattendue, limitée aux soins, aux changements de position ou aux mobilisations, ou présente en continu. Il est recommandé d’évaluer régulièrement la douleur pour mieux orienter la prise en charge. Notre patient a bénéficié d’un antalgique palier 3 (morphine) étant donné l’importance de la douleur, surtout au moment des soins.
Par ailleurs, durant toute la durée des soins, nous avons favorisé une implication très étroite de la famille. L’information et l’encadrement de la famille (essentiellement la fille) avait un impact très positif pour

l’adhésion aux protocoles de soins durant l’hospitalisation et également à domicile.

évolution favorable
Sur le plan général, nous avons constaté une amélioration progressive des différentes an

omalies constatées à l’admission : guérison de la pneumopathie, amélioration de l’état d’hydratation et nutritionnel, équilibre du diabète… Sur le plan local, les soins ont duré 4 semaines à l’hôpital puis se sont poursuivis à domicile. Le protocole de soins était suivi par le personnel soignant et encadré par le médecin gériatre. Le changement des pansements s’effectuait toutes les 48 à 72 heures. Il a fallu associer plusieurs types de pansements de manière chronologique en fonction du stade de la cicatrisation. Les exsudats de la plaie étaient également l’un des principaux critères de choix des pansements. La cicatrisation de l’escarre sacrée (photo 13) et trochantérienne droit (photo 14) s’est faite la dernière semaine d’hospitalisation, alors que celle du talon droit s’est faite après 8 semaines de soins (photo15).

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La région trochantérienne gauche (la plus gravement atteinte) a quant à elle cicatrisé en 16 semaines (photos 16). En conclusion, nous pouvons dire que le traitement de la plaie par voie chirurgicale, bien qu’il paraisse parfois nécessaire, n’est pas toujours souhaitable, voire même possible. Une approche plus conservatrice, fondée sur l’utilisation de

pansements créant des conditions optimales de cicatrisation semble donner de très bons résultats même dans le cas d’un tableau clinique particulièrement défavorable.

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Les différents stades d’une escarre

– Stade 0 ou stade infraclinique : rougeur réversible.
– Stade 1 : rougeur persistante (hyperhémie qui ne blanchit pas).
– Stade 2 superficiel : phlyctène ou plaque de désépidermisation, seul l’épiderme est atteint.
– Stade 2 profond : atteinte de l’épiderme et du derme, Ulcération franche de la peau avec une plaque périphérique rouge indurée, oedématiée et chaude.
– Stade 3 : apparition de la nécrose : épiderme épaissi, cartonné, dur, atone et noir.
– Stade 4 : les lésions sont profondes, avec atteintes de la couche graisseuse, des aponévroses, des muscles et parfois de l’os.

 

Recommandations pour la prévention et le traitement local des escarres

Les mesures préventives doivent être intensifiées afin de limiter l’extension et la constitution de nouvelles escarres: matelas anti-escarre, hygiène rigoureuse de la peau en évitant la macération (changement fréquent des protections et des draps), changement de position toutes les deux à trois heures selon une fiche destinée aux soignants. Au niveau des zones de pression, les massages et les frictions sont strictement interdits. En effet, il a été démontré que ceux-ci perturbaient la micro-circulation. Il est plutôt conseillé de faire un effleurage doux en utilisant un produit adapté (sanyrène*, biafine*).
Les modalités de traitement des plaies (nettoyage, détersion, choix du pansement) doivent être adaptées aux stades de l’escarre et définies sous forme de protocoles de soins.